Anna de Noailles

Les Forces éternelles (1920), excerpts

(poems typed in by Catherine Perry)

 

Astres qui regardez . . .

Astres qui regardez les mondes où nous sommes,
Pure armée au repos dans la hauteur des cieux,
Campement éternel, léger, silencieux,
Que pensez-vous de voir s’anéantir les hommes?
A n’être pas sublime aucun ne condescend,
Comme un cri vers la nue on voit jaillir leur sang
Qui, sur nos coeurs contrits, lentement se rabaisse.
— Morts sacrés, portez-nous un plausible secours!
Notre douleur n’est pas la soeur de votre ivresse;
Vous mourez!  Concevez que c’est un poids trop lourd
Pour ceux qui, dans leur grave et brûlante tristesse,
Ont toujours confondu la vie avec l’amour…

Juin 1915

Our Dead

      (translated by Edith Wharton)

Stars that behold our world upon its way,
Pure legions camped upon the plains of night,
Mute watchful hosts of heaven, what must you say
When men destroy each other in their might?
Upon their deadly race each runner starts,
Nor one but will his brothers all outrun!
Ah, see their blood jet upward to the sun
Like living fountains refluent on our hearts!
O dead divinely for so great a faith,
Help us, whose agony is but begun,
For bitterly we yield you up to death,
We who had dreamed that Life and Love were one.

(in The Book of France)

 

Deux êtres luttent . . .

(not translated)

Deux êtres luttent dans mon coeur,
C’est la bacchante avec la nonne,
L’une est simplement toute bonne,
L’autre, ivre de vie et de pleurs.

La sage nonne est calme, et presque
Heureuse par ingénuité.
Nul n’a mieux respiré l’été;
Mais la bacchante est romanesque,

Romanesque, avide, les yeux
Emplis d’un sanguinaire orage.
Son clair ouragan se propage
Comme un désir contagieux!

La nonne est robuste, et dépense
Son âme d’un air vif et gai.
La païenne, au corps fatigué,
Joint la faiblesse à la puissance.

Cette Ménade des forêts,
Pleine de regrets et d’envies,
A failli mourir de la vie,
Mais elle recommencerait!

La nonne souffre et rit quand même:
C’est une Grecque au coeur soumis.
La dyonisienne gémit
Comme un violon de Bohême!

Pourtant, chaque soir, dans mon coeur,
Cette sage et cette furie
Se rapprochent comme deux soeurs
Qui foulent la même prairie.

Toute deux lèvent vers les cieux
Leur noble regard qui contemple.
L’étonnement silencieux
De leurs deux âmes fuse ensemble;

Leurs front graves sont réunis;
La même angoisse les visite:
Toutes les deux ont, sans limite,
La tristesse de l’infini!…

 

       Mélodie

            (not translated)

Comme un couteau dans un fruit
Amène un glissant ravage,
La mélodie au doux bruit
Fend le coeur et le partage
Et tendrement le détruit.
— Et la langueur irisée
Des arpèges, des accords,
Descend, tranchante et rusée,
Dans la faiblesse du corps
Et dans l’âme divisée…