Anna de Noailles

L’Honneur de souffrir (1927), excerpts

(poems typed in by Catherine Perry)

 

VI

Ils ont inventé l’âme afin que l’on abaisse
Le corps, unique lieu de rêve et de raison,
Asile du désir, de l’image et des sons,
Et par qui tout est mort dès le moment qu’il cesse.

Ils nous imposent l’âme, afin que lâchement
On détourne les yeux du sol, et qu’on oublie,
Après l’injurieux ensevelissement,
Que sous le vin vivant tout est funèbre lie.
— Je ne commettrai pas envers votre bonté,
Envers votre grandeur, secrète mais charnelle,
Ô corps désagrégés, ô confuses prunelles,
La trahison de croire à votre éternité.
Je refuse l’espoir, l’altitude, les ailes,
Mais étrangère au monde et souhaitant le froid
De vos affreux tombeaux, trop bas et trop étroits,
J’affirme, en recherchant vos nuits vastes et vaines,
Qu’il n’est rien qui survive à la chaleur des veines !

VI

They invented the soul to lower
The body, sole place of dreams and reason,
Shelter of desire, images, and sounds,
Through which all is dead as soon as it ends.

They impose the soul, so that as cowards
We will avert our gaze from the ground and forget,
After the offensive burial,
That under the living wine all is funereal dregs.
— I will not commit, against your goodness,
Against your secret but carnal greatness,
O disintegrated bodies, o dissolved eyes,
The treason of believing in your eternity.
I refuse hope, loftiness, wings,
But a stranger to the world and wishing for the cold
Of your horrible, too low and too narrow tombs,
I affirm, while probing your vast, empty nights,
That nothing survives the warmth of the veins!

XII

Habitante éthérée et fixe des tombeaux,
Dont l’âme a soulevé les portes funéraires,
Je répands, dans ma juste et songeuse misère,
L’encens du noir séjour sur les clartés d’en haut.

Un livide univers m’enveloppe et m’étonne.
Dans un effort ardu, débile et monotone,
Mon trébuchant esprit s’efforce et se démet:
Je sens que tu es mort, et ne le sais jamais!

XII

Ethereal and resolute dweller of tombs,
Whose soul has lifted the funereal doors,
In my just and meditative misery, I cast
The incense from the black abode over the light above.

A livid universe surrounds and astounds me.
In an arduous, weak, and monotonous effort,
My stumbling spirit strives and struggles:
I sense that you are dead and yet I know it not!

LXIII

La femme, durée infinie,
Rêveuse d’éternels matins,
Dans la puissance de l’instinct
Veut créer.  Mais cette agonie

Plus tard, un jour, de son enfant,
Cette peur, ces sueurs, ces transes,
Ce mourant que rien ne défend,
En garde-t-elle l’ignorance?

Et toute mère, sans remords,
Triomphante et pourtant funèbre,
Voue une âme aux longues ténèbres,
Et met au monde un homme mort…

LXIII

Woman, infinite duration,
Dreamer of eternal morns,
In the power of instinct
Wants to create. But this agony

Later, one day, of her child,
This dread, this sweat, these trances,
This dying being with no defense,
Of all this can she remain ignorant?

Every mother, without remorse,
Triumphant and yet funereal,
Pledges a soul to the long night
And gives birth to a dead man…