Anna de Noailles

Les Vivants et les Morts (1913), excerpts

(poems typed in and translated literally by Catherine Perry)

Tu vis, je bois l’azur . . .

(not translated; excerpts)

Tu vis, je bois l’azur qu’épanche ton visage,
Ton rire me nourrit comme d’un blé plus fin,
Je ne sais pas le jour, où, moins sûr et moins sage,
Tu me feras mourir de faim.

Solitaire, nomade et toujours étonnée,
Je n’ai pas d’avenir et je n’ai pas de toit,
J’ai peur de la maison, de l’heure et de l’année
Où je devrai souffrir de toi.

Même quand je te vois dans l’air qui m’environne,
Quand tu sembles meilleur que mon coeur ne rêva,
Quelque chose de toi sans cesse m’abandonne,
Car rien qu’en vivant tu t’en vas.

Tu t’en vas, et je suis comme ces chiens farouches
Qui, le front sur le sable où luit un soleil blanc,
Cherchent à retenir dans leur errante bouche
L’ombre d’un papillon volant.

Tu t’en vas, cher navire, et la mer qui te berce
Te vante de lointains et plus brûlants transports.
Pourtant, la cargaison du monde se déverse
Dans mon vaste et tranquille port.

Ne bouge plus, ton souffle impatient, tes gestes
Ressemblent à la source écartant les roseaux.
Tout est aride et nu hors de mon âme, reste
Dans l’ouragan de mon repos!

Quel voyage vaudrait ce que mes yeux t’apprennent,
Quand mes regards joyeux font jaillir dans les tiens
Les soirs de Galata, les forêts des Ardennes,
Les lotus des fleuves indiens?

Hélas! quand ton élan, quand ton départ m’oppresse,
Quand je ne peux t’avoir dans l’espace où tu cours,
Je songe à la terrible et funèbre paresse
Qui viendra t’engourdir un jour.

Toi si gai, si content, si rapide et si brave,
Qui règnes sur l’espoir ainsi qu’un conquérant,
Tu rejoindras aussi ce grand peuple d’esclaves
Qui gît, muet et tolérant.

Je le vois comme un point délicat et solide
Par delà les instants, les horizons, les eaux,
Isolé, fascinant comme les Pyramides,
Ton étroit et fixe tombeau;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— J’ai vu sous le soleil d’un antique rivage
Qui subit la chaleur comme un céleste affront,
Des squelettes légers au fond des sarcophages,
Et j’ai touché leurs faibles fronts.

Et je savais que moi, qui contemplais ces restes,
J’étais déjà ce mort, mais encor palpitant,
Car de ces ossements à mon corps tendre et preste
Il faut le cours d’un peu de temps…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Faut-il . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Que plus froid que le froid, sans regard, sans oreille,
Germe qui se rendort dans l’oeuf universel,
Vous soyez cette cire âcre, dont les abeilles
Écartent leur vol fraternel!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mon enfant, je me hais, je méprise mon âme,
Ce détestable orgueil qu’ont les filles des rois,
Puisque je ne peux pas être un rempart de flamme
Entre la triste mort et toi!

Mais puisque tout survit, que rien de nous ne passe,
Je songe, sous les cieux où•la nuit va venir,
A cette éternité du temps et de l’espace
Dont tu ne pourras pas sortir.

— O beauté des printemps, alacrité des neiges,
Rassurantes parois du vase immense et clos
Où, comme de joyeux et fidèles arpèges,
Tout monte et chante sans repos!

Les Journées romaines

L’éther pris de vertige et de fureur tournoie,
Un luisant diamant de tant d’azur s’extrait.
Virant, psalmodiant, le vent divise et ploie
La pointe faible des cyprès.

C’est en vain que les eaux écumeuses et blanches,
Captives tout en pleurs des lourds bassins romains,
S’élèvent bruyamment, s’ébattent et s’épanchent:
Neptune les tient dans sa main.

Je contemple la rage impuissante des ondes;
Dans cette vague éparse en la jaune cité,
C’est vous qu’on voit jaillir, conductrice des mondes,
Amère et douce Aphrodité!

L’odeur de la chaleur, languissante et créole,
Stagne entre les maisons qui gonflent de soleil;
Comme un coureur ailé le ciel bifurque et vole
Au bord tranchant des toits vermeils;

Et là-bas, sous l’azur qui toujours se dévide,
Un jet d’eau, turbulent et lassé tour à tour,
Semble un flambeau d’argent, une torche liquide
Qu’agite le poing de L’Amour.

Rome ploie, accablé de grappes odorantes,
La surhumaine vie envahit l’air ancien,
Les chapiteaux brisés font fleurir leurs acanthes
Aux thermes de Dioclétien!

Dans ce cloître pâmé, des bacchantes blêmies
Gisent; silence, azur, léthargiques dédains!
Le soleil tombe en feu sur la gorge endormie
De ces Danaés des jardins…

Ils dorment là, liés par les roses païennes,
Ces corps de marbre blond, las et voluptueux:
O mes soeurs du ciel grec, chères Milésiennes,
Que de siècles sont sur vos yeux!

L’une d’elles voudrait se dégager; sa hanche
Soulève le sommeil ainsi qu’un flot trop lourd,
Mais tout le poids des temps et de l’azur la penche:
Elle rêve là pour toujours.

Midi luit; la villa des chevaliers de Malte
Choit comme une danseuse aux pieds brûlants et las.
Comme un fauve tigré l’air jaunit et s’exalte;
Une nymphe en pierre vit là.

Elle a les bras cassés, mais sa force éternelle
Empourpre de plaisir ses genoux triomphants;
Le néflier embaume, un jet d’eau est, près d’elle,
Secoué d’un rire d’enfant.

Les dieux n’ont pas quitté la campagne romaine,
Euterpe aux blonds pipeaux, Erato qui sourit,
Dansent dans le jardin Mattei, où se promène
Le saint Philippe de Néri.

— Mais c’est vous qui, ce soir, partagez mon malaise,
Dans l’église sans voix, au mur pâle et glacé,
Déesse catholique, ô ma sainte Thérèse,
Qui soupirez, les yeux baissés!

Malgré vos airs royaux, et la fierté divine
Dont s’enveloppe encor votre coeur emporté,
L’angoisse de vos traits permet que l’on devine
Votre douce mendicité.

O visage altéré par l’ardente torture
D’attendre le bonheur qui descend lentement,
Appel mystérieux, hymne de la nature,
Désir de l’immortel amant!

Je vous offre aujourd’hui, parmi l’encens des prêtres,
Comme un grain plus brûlant mis dans vos encensoirs,
Le rire que j’entends au bas de la fenêtre
Où je rêve seule le soir;

C’est le rire joyeux, épouvanté, timide
De deux enfants heureux, éperdus, inquiets,
Qui joignent leurs regards et leurs lèvres avides,
— Et dont tout le sanglot riait!

Ils riaient, ils étaient effrayés l’un de l’autre;
Un jet d’eau s’effritait dans le lointain bassin;
La lune blanchissait, de sa clarté d’apôtre,
La terrasse des Capucins.

Une palme portait le poids mélancolique
De l’éther sans zéphyr, sans rosée et sans bruit;
Rien ne venait briser son attente pudique,
Que ce rire aigu dans la nuit!

Et je n’entendis plus que ce rire nocturne,
Plus fort que les senteurs des terrasses de miel,
Plus vif que le sursaut des sources dans leur urne,
Plus clair que les astres au ciel.

— Je le prends dans mes mains, chaudes comme la lave,
Je le mêle aux élans de mon éternité,
Ce rire des humains, si farouche et si grave,
Qui prélude à la volupté!

Roman Days

The ether gripped in vertigo spins;
From so much azure a glistening diamond is drawn.
Wheeling, hymning, the wind divides and sways
The cypresses’ frail crest.

In vain the frothing white waters,
Tearful captives of the heavy Roman basins,
Noisily soar, leap, and expend themselves:
Neptune holds them in his hand.

I contemplate the waves’ powerless rage;
In these waters scattered over the golden city,
It is you I see emerging, leader of the worlds,
Bitter and sweet Aphrodite!

Languishing, creole, the scented heat
Stagnates among houses swelling in the sun;
Like a winged runner the sky forks and flies
Against the sharp edges of shining roofs;

And yonder, beneath the ever draining azure,
A fountain, now turbulent, now languid,
Seems a silver torch, a liquid torch
Shaken by the fist of Love.

Rome yields, overcome by fragrant grapes,
Superhuman life invades the ancient air,
Broken capitals make their acanthi bloom
In Diocletian’s therms!

In this fainting cloister, pallid bacchantes
Lie; silence, azure, languid disdain!
The blazing sun lunges for the slumbering chest
Of these garden Danaes…

There they sleep, bound by pagan roses,
These bodies of blond marble, weary and voluptuous:
O my sisters of the Greek skies, dear Milesians,
How many centuries press upon your eyes!

One would unbind herself; her hip
Heaves slumber as a too-heavy wave,
But the weight of time and azure bends her down:
There she dreams forever.

Noon shimmers; the villa of the Knights of Malta
Collapses like a dancer with burning weary feet.
Like a tiger the air turns yellow and flares;
A nymph of stone lives there.

Her arms are broken, but her eternal force
Flushes her triumphant knees with pleasure;
The medlar spreads its balm, a fountain beside her
Quivers with the laugh of a child.

The gods have not forsaken the Roman land,
Euterpa with her golden flutes, Erato with her smile,
Dance in the Mattei gardens where
Saint Philip of Neri strolls.

— But it is you, tonight, who share my malaise,
In the voiceless church, behind its pale, frozen walls,
Catholic goddess, o my saint Teresa,
Sighing, with downcast eyes!

Despite the regal air and divine pride
That still veil your enraptured heart,
The anguish on your face allows us to divine
Your gentle supplication.

O features altered by the ardent torture
Of awaiting a bliss that slowly descends,
Mysterious call, hymn of nature,
Desire for the immortal lover!

Today I offer you, commingled with priestly incense,
Like a more fiery grain placed in your censers,
The laughter I hear beneath the window
Where I dream alone at night;

It is the joyful, fearful, timid laughter
Of two happy, distraught, anxious children,
Joining their gazes and avid lips,
— And whose moan was laughing.

They were laughing, frightened of each other;
A stream of water crumbled in the remote basin;
The moon whitened, with apostolic clarity,
The terrace of the Capuchins.

In the absence of breeze, dew, and sound,
A palm sustained the ether’s melancholy weight;
Nothing disturbed its chaste expectation,
But this laughter in the night!

And I heard nothing but this nocturnal laughter,
Stronger than the fragrances from honeyed terraces,
More vibrant than the springs bursting from their urn,
Brighter than the stars in the sky.

— I clasp it in my hands, burning like lava,
I blend it with the impulse of my eternity,
This laughter of humans, so fierce and so grave,
The prelude to voluptuousness!

 

Syracuse

Excite maintenant les compagnons du choeur
à célébrer l’illustre Syracuse!…
PINDARE.

Je me souviens d’un chant du coq, à Syracuse!
Le matin s’éveillait, tempétueux et chaud;
La mer, que parcourait un vent large et dispos,
Dansait, ivre de force et de lumière infuse!

Sur le port, assailli par les flots aveuglants,
Des matelots clouaient des tonneaux et des caisses,
Et le bruit des marteaux montait dans la fournaise
Du jour, de tous ces jours glorieux, vains et lents;

J’étais triste. La ville illustre et misérable
Semblait un Prométhée sur le roc attaché;
Dans le grésillement marmoréen du sable
Piétinaient les troupeaux qui sortaient des étables;
Et, comme un crissement de métal ébréché,
Des cigales mordaient un blé blanc et séché.

Les persiennes semblaient à jamais retombées
Sur le large vitrail des palais somnolents;
Les balcons espagnols accrochaient aux murs blancs
Broyés par le soleil, leurs ferrures bombées:
Noirs cadenas scellés au granit pantelant…

Dans le musée, mordu ainsi qu’un coquillage
Par la ruse marine et la clarté de l’air,
Des bustes sommeillaient, — dolents, calmes visages,
Qui s’imprègnent encor, par l’éclatant vitrage,
De la vigueur saline et du limpide éther.

Une craie enflammée enveloppait les arbres;
Les torrents secs n’étaient que des ravins épars,
De vifs géraniums, déchirant le regard,
Roulaient leurs pourpres flots dans ces blancheurs de marbre.
— Je sentais s’insérer et brûler dans mes yeux
Cet éclat forcené, inhumain et pierreux.

Une suture en feu joignait l’onde au rivage.
J’étais triste, le jour passait. La jaune fleur
Des grenadiers flambait, lampe dans le feuillage.
Une source, fuyant l’étreignante chaleur,
Désertait en chantant l’aride paysage.

Parfois sur les gazons brûlés, le pourpre épi
Des trèfles incarnats, le lin, les scabieuses,
Jonchaient par écheveaux la plaine soleilleuse,
Et l’herbage luisait comme un vivant tapis
Que n’ont pas achevé les frivoles tisseuses.

Le théâtre des Grecs, cirque torride et blond,
Gisait. Sous un mûrier, une auberge voisine
Vendait de l’eau: je vis, dans l’étroite cuisine,
Les olives s’ouvrir sous les coups du pilon
Tandis qu’on recueillait l’huile odorante et fine.

Et puis vint le doux soir. Les feuilles des figuiers
Caressaient, doigts légers, les murailles bleuâtres.
D’humbles, graves passants s’interpellaient; les pieds
Des chevreaux au poil blanc, serrés autour du pâtre,
Faisaient monter du sol une poudre d’albâtre.

Un calme inattendu, comme un plus pur climat,
Ne laissait percevoir que le chant des colombes.
Au port, de verts fanaux s’allumaient sur les mâts,
Et l’instant semblait fier, comme après les combats
Un nom chargé d’honneur sur une jeune tombe.

C’était l’heure où tout luit et murmure plus bas…

La fontaine Aréthuse, enclose d’un grillage,
Et portant sans orgueil un renom fabuleux,
Faisait un bruit léger de pleurs et de feuillage
Dans les frais papyrus, élancés et moelleux…

Enfin ce fut la nuit, nuit qui toujours étonne
Par l’insistante angoisse et la muette ardeur.
La lune plongeait, telle une blanche colonne,
Dans la rade aux flots noirs, sa brillante liqueur.

Un solitaire ennui aux astres se raconte;
Je contemplais le globe au front mystérieux,
Et qui, ruine auguste et calme dans les cieux,
Semble un fragment divin, retiré, radieux,
De vos temples, Géla, Ségeste, Sélinonte!

— O nuit de Syracuse: Urne aux flancs arrondis!
Logique de Platon! Ame de Pythagore!
Ancien Testament des Hellènes; amphore
Qui verses dans les coeurs un vin sombre et hardi,
Je sais bien les secrets que ton ombre m’a dits.

Je sais que tout l’espace est empli du courage
Qu’exhalèrent les Grecs aux genoux bondissants;
Les chauds rayons des nuits, la vapeur des nuages
Sont faits avec leur voix, leurs regards et leur sang.

Je sais que des soldats, du haut des promontoires,
Chantant des vers sacrés et saluant le sort,
Se jetaient en riant aux gouffres de la mort
Pour retomber vivants dans la sublime Histoire!

Ainsi ma nuit passait. L’ache, l’anet crépu
Répandaient leurs senteurs. Je regardais la rade;
La paix régnait partout où courut Alcibiade,
Mais, — noble obsession des âges révolus, —
L’éther semblait empli de ce qui n’était plus…

J’entendis sonner l’heure au noir couvent des Carmes.
L’espace regorgeait d’un parfum d’orangers.
J’écoutais dans les airs un vague appel aux armes…
— Et le pouvoir des nuits se mit à propager
L’amoureuse espérance et ses divins dangers:

O désir du désir, du hasard et des larmes!

Syracuse

Now inspire your chorus companions
to celebrate the illustrious Syracuse!…
Pindar

I remember a cock’s crow in Syracuse!
The morning dawned, hot and stormy,
The sea, tossed by a vast and lively breeze,
Danced, intoxicated with vigor and steeped in light!

At the port, assailed by blinding waves,
Sailors were nailing cases and barrels,
And the thump of hammering rose in the furnace
Of the day, of all those vain, slow, glorious days;

I was sad. The illustrious and miserable city
Seemed a Prometheus bound to the rock;
In the crunching marble-rich sand
Herds trampled, leaving their barns;
And, with a shrill sound of tearing metal,
Cicadas bit into dry white ears of wheat.

The shutters seemed to have closed for ever
Across the broad panes of the somnolent palazzi;
Spanish balconies clutched the white walls,
Ground by the sun, with their curved iron:
Black bolts sealed to the quivering granite…

In the museum, gnawed like a sheashell
By the cunning sea and the bright air,
Stood dosing busts, — languid and calm faces,
Still permeated, through the brilliant glass,
By invigorating brine and limpid ether.

Blinding chalk clung to the trees,
The dry torrents were but sparse crevices;
Vivid geraniums, rending the eyes,
Swirled their crimson waves upon this marble whiteness.
— I felt my gaze pierced and burned
By this frenzied, inhuman, stony blaze.

A fiery suture joined the sea to the shore.
I was sad, the day was advancing. The pomegranate’s
Yellow flower burned like a torch among the leaves.
Fleeing the gripping heat, a source
Deserted — singing — the arid landscape.

Now and then, in the scorched fields,
The clover’s purple sprig, the linen and the teasel
Appeared strewn like skeins over the sunny plain,
And the grass glowed like a living carpet
That frivolous weavers had left unfinished.

The Greek theater, torrid and blond circus,
Lay motionless. Under a mulberry tree,
A neighboring inn sold water: in the narrow kitchen
I saw olives crack open at the mortar’s blow
And yield their delicate aromatic oil.

Then came the gentle evening. Fig leaves
With light fingers caressed the bluish walls.
Humble and solemn passers-by called out to one another;
White-haired kids, clustered around the shepherd,
Kicked up an alabaster dust.

An unexpected calm, like a purer climate,
Let nothing be heard but doves cooing.
In the harbor, green mast lights flickered on,
And the moment seemed proud, like a name
On a young tomb, laden with honor after the battle.

It was the hour when all glows and more softly whispers…

Encircled by a fence, the Fonte Aretusa,
Which humbly bears a mythical name,
Made a light sound of tears and foliage
Among the cool papyrus, tall and mellow.

It was night at last, the night that always astounds
With its insistent anguish and mute ardor.
The moon sank, like a white column,
Its liquid light into the harbor’s black waters.

A solitary pain is shared with the stars;
I gazed at the mysterious face of the globe,
Majestic tranquil ruin in the skies,
Like a divine and radiant fragment removed
From your temples, Gela, Segesta, Selinunte!

— O night of Syracuse, round-flanked urn!
Logic of Plato! soul of Pithagoras!
Old Testament of the Greeks; amphora
Pouring a dark and bold wine into our hearts,
I know well the secrets that your shadows revealed.

I know that all of space is filled with the courage
That the agile Greeks exhaled;
The night’s warm rays, the clouds’ vapors
Are made of their voices, their gazes, and their blood.

I know that soldiers, from the heights of the cliffs,
Chanting sacred verses and hailing destiny,
Plunged laughing into the chasms of death
To fall back alive into sublime History!

And so passed my night. The apium, the curly anet
Spread their fragrances. I gazed upon the harbor:
Peace now reigned where Alcibiades strode,
But, — noble obsession of times gone by, —
The ether seemed filled with what was no more…

I heard the hour strike at the dark Carmelin Convent.
The air brimmed with the scent of orange trees.
I heeded a faint call to arms in the distance…
— And the power of the nights began to impart
The hope of love and of its divine perils:

O desire of desire, of fate, and of tears!

 

L’Île des folles à Venise

La lagune a le dense éclat du jade vert.
Le noir allongement incliné des gondoles
Passe sur cette eau glauque, et sous le ciel couvert.
— Ce rose bâtiment, c’est la maison des folles.

Fleur de la passion, île de Saint-Clément,
Que de secrets bûchers dans votre enceinte ardente!
La terre desséchée exhale un fier tourment,
Et l’eau se fige autour comme un cercle du Dante.

— Ce soir mélancolique où les cieux sont troublés,
Où l’air appesanti couve son noir orage,
J’entends ces voix d’amour et ces coeurs exilés
Secouer la fureur de leurs mille mirages!

Le vent qui fait tourner les algues dans les flots
Et m’apporte l’odeur des nuits de Dalmatie,
Guide jusqu’à mon coeur ces suprêmes sanglots.
— O folie, ô sublime et sombre poésie!

Le rire, les torrents, la tempête, les cris
S’échappent de ces corps que trouble un noir mystère.
Quelle huile adoucirait vos torrides esprits,
Bacchantes de l’étroite et démente Cythère?

Cet automne, où l’angoisse, où la langueur m’étreint,
Un secret désespoir à tant d’ardeur me lie;
Déesse sans repos, sans limites, sans frein,
Je vous vénère, active et divine Folie!

— Pleureuses des beaux soirs voisins de l’Orient,
Déchirez vos cheveux, égratignez vos joues.
Pour tous les insensés qui marchent en riant,
Pour l’amante qui chante, et pour l’enfant qui joue.

O folles! aux judas de votre âpre maison
Posez vos yeux sanglants, contemplez le rivage:
C’est l’effroi, la stupeur, l’appel, la déraison,
Partout où sont des mains, des yeux et des visages.

Folles, dont les soupirs comme de larges flots
Harcèlent les flancs noirs des sombres Destinées,
Vous sanglotez du moins sur votre morne îlot;
Mais nous, les coeurs mourants, nous, les assassinées,

Nous rôdons, nous vivons; seuls nos profonds regards,
Qui d’un vin ténébreux et mortel semblent ivres,
Dénoncent par l’éclat de leurs rêves hagards
L’effroyable épouvante où nous sommes de vivre.

— Par quelle extravagante et morne pauvreté,
Par quel abaissement du courage et du rêve
L’esprit conserve-t-il sa chétive clarté
Quand tout l’être éperdu dans l’abîme s’achève?

— O folles, que vos fronts inclinés soient bénis!
Sur l’épuisant parcours de la vie à la tombe
Qui va des cris d’espoir au silence infini,
Se pourrait-il vraiment qu’on marche sans qu’on tombe?

Se pourrait-il vraiment que le courage humain,
Sans se rompre, accueillît l’ouragan des supplices?
Douleur, coupe d’amour plus large que les mains,
Avoir un faible coeur, et qu’un Dieu le remplisse!

— Amazones en deuil, qui ne pouvez saisir
L’ineffable langueur éparse sur les mondes,
Sanglotez! A vos cris de l’éternel désir,
Des bords de l’infini les amants vous répondent…

The Madwomen’s Island in Venice

The laguna flashes a dull glaze of green jade.
Pliant and elongated, the gondolas glide
Over gaunt waters, beneath shrouded skies.
— Yonder pink building is where madwomen dwell.

Flower of passion, isle of Saint Clement,
How many secret pyres in your ardent enclosure!
The parched soil exhales a proud torment,
And the waters around freeze like a circle of Dante.

On this bleak evening when the skies are troubled,
When the heavy air brews its storm,
I hear these voices of love and these exiled hearts
Shaking the furor of a thousand mirages!

The wind churning algae in the waves
And bringing me the fragrance of Dalmatian nights
Guides to my heart their terrible moans.
— O madness, o sublime and somber poetry!

Laughter, torrents, tempests, and screams
Escape from these bodies tormented by a dark secret.
What oil could assuage your torrid spirits,
Bacchantes of a narrow and demented Cytherea?

This autumn, shackled by anguish and distress,
I feel bound to such ardor by a secret despair;
Untiring, uncurbed, unbound goddess,
I venerate you, active and divine Madness!

Mourners in the splendid nights bordering the Orient,
Tear out your hair and lacerate your cheeks
For all the mad ones who laugh as they walk,
For the lover who sings, and for the child at play.

O madwomen! To the loopholes of your bitter house
Put your bloodshot eyes and contemplate the shore:
Dread, stupor, lament, insanity,
Are wherever hands, eyes, and faces are.

Madwomen, whose sighs like vast waves
Harass the dark flanks of the Fates,
You weep at least on your bleak island;
But we, dying hearts, we, the murdered women,

We wander, we live; only our deep gazes,
As though drunk with a tenebrous, mortal wine,
Betray through the flash of their haggard dreams
The fearful horror of our lives.

Through what extravagant, dismal poverty,
Through what abasement of courage and dream,
Does the spirit maintain its frail lucidity
When the entire being ends in the abyss?

— O madwomen, blessed be your lowered heads!
On the exhausting road from birth to the grave,
Leading from cries of hope to infinite silence,
Can one really walk without falling?

Can human courage, without breaking,
Really embrace the outbreak of torture?
Suffering, cup of love vaster than one’s hands,
To have a frail heart that a God should fill!

Mourning amazons who cannot grasp
The ineffable languor spread over the worlds,
Lament! To your cries of eternal desire,
From the edges of the infinite lovers respond…

 

Ainsi les jours légers . . .

(not translated)

Ainsi les jours légers, et qui te ressemblaient
Par la coloration chaleureuse des heures,
Ont de toi fait un mort, la nuit, dans ta demeure,
Et l’aube, lentement, a blanchi tes volets…

Et tu fus là, dormant, à jamais insensible,
Laissant monter sur ceux que tu privais de toi
Ces grands fardeaux du temps aux contours inflexibles;
J’ai l’âge de ce jour où je t’ai vu sans voix:

Sans regard et sans voix, achevant ma jeunesse
Par ce spectacle affreux de faiblesse et de paix,
Que mes yeux arrêtés puisaient avec détresse
Sur ton front assombri, si pauvre et si parfait.

Les fleurs, entre tes mains et contre ton doux être,
Parfumaient froidement ton éternel répit;
Jamais je ne verrai l’été sans reconnaître
Ce jardin qui mourait sur ton coeur assoupi!

Et tu n’étais plus là, malgré ton fin visage,
Le dernier de toi-même et qui me plaît le plus;
O visage accablé, suprême paysage
D’un jour de fin du monde, et qu’on ne verra plus!

Les vivants ont repris leurs errantes coutumes;
Ils sont un autre peuple, et tu ne peux toujours
Hanter de ta suave et poétique brume
Ces malheureux, guidés par d’alertes amours.

Mais leur vague existence est par l’ombre absorbée,
Ils meurent chaque jour, sans enfoncer en nous
Ces pointes du malheur, que ta main dérobée
Fixe encor dans mon coeur comme de sombres clous…