Anna de Noailles

Les Éblouissements (1907), excerpts

(poems typed in and translated literally by Catherine Perry)

The following lines belong to the end of the first poem in the collection:

Éblouissement

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Aujourd’hui, le coeur las et blessé par le feu,
Je vous bénis encor, o brasier jaune et bleu,
Exaltant univers dont chaque élan m’enivre!
Mourante, je dirai qu’il faut jouir et vivre;
Que, malgré la langueur d’un corps triste et brûlant,
La nuit est généreuse et le jour succulent;
Que les larmes, les cris, la douleur, l’agonie
Ne peuvent pas ternir l’allégresse infinie!
Qu’un moment du désir, qu’un moment de l’été,
Contiennent la suave et chaude éternité.
O sol humide et noir d’ou jaillit la jacinthe!
Qu’importe si dans l’âpre et ténébreuse enceinte
Les morts sont étendus froids et silencieux.
O beauté des tombeaux sous la douceur des cieux!
Marbres posés ainsi que des bornes plaintives,
Rochers mystérieux des incertaines rives,
Horizontale porte accédant à la nuit,
O débris du vaisseau, épave qui reluit,
Comme vous célébrez la joie et l’abondance,
La force du plaisir, l’audace de la danse,
L’universelle arène aux lumineux gradins!…
Et quelquefois, parmi les funèbres jardins,
Je crois voir ses pieds nus appuyés sur les tombes,
Un Eros souriant qui nourrit des colombes…

Dazzling

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Today, with weary heart burned by flames,
I bless you still, o blue and yellow blaze,
Exalting universe whose every surge intoxicates me!
Dying, I will proclaim that we must enjoy and live;
That despite the languor of a sorrowful and burning body,
Night is munificent and day succulent;
That tears, cries, suffering, agony
Cannot tarnish infinite rapture!
That one moment of desire, one moment of summer,
Contain suave and ardent eternity.
O black and moist earth where the hyacinth shoots up!
It matters little if in the grim and gloomy enclosure
The dead lie cold and silent.
O beauty of tombs beneath serene skies!
Marble slabs set like plaintive markers,
Mysterious rocks on uncertain shores,
Horizontal door opening onto the night,
O debris of the ship, radiant wreckage,
How you celebrate joy and abundance,
The power of pleasure, the daring of dance,
The universal arena and its luminous tiers!…
And sometimes, in the funereal gardens,
I believe I see, his naked feet weighing on tombs,
A smiling Eros who nourishes the doves…

Azur

Comme un sublime fruit qu’on a de loin lancé,
La matinée avec son ineffable extase
Sur mon coeur enivré tombe, s’abat, s’écrase,
Et mon plaisir jaillit comme un lac insensé!

— O pulpe lumineuse et moite du ciel tendre,
Espace où mon regard se meurt de volupté,
O gisement sans fin et sans bord de l’été,
Azur qui sur l’azur vient reluire et s’étendre,

Coulez, roulez en moi, détournez dans mon corps
Tout ce qui n’est pas vous, prenez toute la place,
Déjà ce flot d’argent m’étouffe, me terrasse,
Je meurs, venez encor, azur! venez encor…

Azure

Like a sublime fruit, thrown from afar,
The morning with its ineffable ecstasy
On my drunken heart falls, collapses, presses down,
And my pleasure surges like a crazy lake!

— O luminous and moist pulp of the tender sky,
Space where my gaze dies of voluptuousness,
O endless, unlimited realm of summer,
Azure on azure coming to shine and lie,

Run, flow through me, divert in my body
All that is not you, fill this entire space,
The silver stream now stifles and conquers me,
I die, come again, azure! come again…

Danseuse persane

     (excerpts)

Dame persane, en robe rose,
Qui dansez dans le frais vallon,
Tournez vers mon âme morose
Votre oeil de biche, sombre et long.

Veuillez écouter ma complainte:
J’étais faite aussi pour danser
Sur la tulipe et la jacinthe
Que vos pieds viennent caresser.

Un bas en or sur votre jambe
Luit comme un réseau de soleil,
Et tout votre jeune être flambe
Auprès d’un branchage vermeil.

Ce bel arbuste solitaire,
Où vous enroulez votre bras,
Est en feu comme un lampadaire,
Et parfume comme un cédrat.

Indiquez-moi la douce allée
Qui mène à ce pays charmant;
Quel est le nom de la vallée
Où vous dansez éperdument?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Comme je vois à tous vos gestes,
A vos secrets qu’on peut saisir,
A toutes vos mines célestes,
Que vous n’aimiez que le plaisir!

Que t’importait, ange farouche,
Ardent, faible et voluptueux,
Ce que, loin de ta douce bouche,
Les vieux sages disaient entre eux.

Pendant leur morne promenade,
Sur les bords du Tigre, en été
Roulant leurs chapelets de jade,
Ils maudissaient la volupté.

Ils disaient que, puisque tout passe,
Puisque l’être est pareil au vent,
Il faut méditer dans l’espace,
Sous les platanes d’un couvent…

— Mais toi, danseuse au clair délire,
Gâteau de miel, de lis et d’or,
Tu ris et dédaignes de lire
Leurs manuscrits où l’on s’endort.

Que leur corps usé se repose!
Mais toi, lorsque le rossignol
Se gorge du vin de la rose
Et tombe étourdi sur le sol,

Lorsque, sous la blanche églantine,
Dans l’épais tapis des cerfeuils,
La lune emplit d’ardeur divine
Les loups, les lynx et les chevreuils,

Tu t’élances sous le beau cèdre,
Tu caresses ses noirs rameaux,
Tu danses, grave comme un prêtre,
Chaude comme les animaux!

Tu chantes, et ta cantilène
Jaillit, bondit, comme un jet d’eau,
Toute ton âme se promène
Du vallon noir au noir coteau!

Tu dis que c’est l’heure de vivre,
Que le moment de vivre est court,
Que ton Dieu veut que l’on s’enivre
De parfum, de vin et d’amour!

Tu dis que la terre est sans joie
Pour ceux qui sont dans le tombeau,
Qu’il faut que le désir s’éploie
Comme un vautour cruel et beau!

Tu dis, danseuse sanglotante,
Mêlant les pleurs à ton appel,
Que voici l’heure haletante
Où bout le sang universel!

Voix joyeuse et désespérée,
Ah! que veux-tu donc obtenir
Par ton angoisse humble et sacrée,
Qui semble gémir ou hennir?

Tu chantes la vie, et la vie!
Mais, ô soif de l’immensité,
Je sais que ta suprême envie
Est de mourir de volupté…

Persian Dancer

     (excerpts)

Persian lady, clad in rose,
Dancing in the cool vale,
Turn toward my brooding soul
Your doe eyes, dark and long.

Heed my complaint:
I, too, was made for dancing
On the tulip and the hyacinth
That your feet carress.

A gold stocking on your limbs
Shimmers like a solar net,
And all of your youthful being
Flares next to a crimson bough.

This fair lone bush,
Encircled by your arm,
Glows like a lamp
Emitting a fragrance of lime.

Show me the gentle path
That leads to this enchanting land;
What is the valley’s name
Where you dance with such abandon?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

How well I see in every gesture,
In your fathomable secrets,
In your celestial poses,
That you loved nothing but pleasure!

Of what concern to you, untamed angel,
Ardent, weak, and voluptuous,
Were, far from your sweet mouth,
The words spoken by old pundits.

In the course of their bleak meanderings
On the banks of the Tigris, in summer,
Rolling their rosaries of jade,
They would curse voluptuousness.

Since all passes away, they said,
Since beings are like the wind,
We should meditate in space,
Under the plane trees of a cloister.

— But you, clear frenzied dancer,
Honeycomb rapt with lilies and gold,
You laugh and disdain to read
Manuscripts that put us to sleep.

May their worn bodies rest!
But you, when the nightingale
Gorges on the rose’s wine
And collapses reeling to the ground,

When, under the wild rose,
On the thick carpet of grass,
The moon fills with divine fervor
Wolves, lynxes, and deer,

You prance under the cedar,
And caressing its black limbs,
You dance, grave as a priest,
Hot as an animal!

You sing, your notes
Welling and gushing like a spring,
Your entire soul roams
From dark vale to dark hill!

You say that now is the time to live,
That the hour of life is all too brief,
That your God wants us to revel
In fragrance, wine, and love!

You say that the earth is cheerless
For those who inhabit the grave,
That our desires must soar,
Cruel and splendid like birds of prey!

You say, sobbing dancer,
Blending tears in your calls,
That now comes the heaving hour
When universal blood will foam!

Exuberant, desperate voice,
What do you strive to obtain
Through your humble, sacred anguish,
Which seems to grieve or to laugh?

You sing of life, and of life again!
But, o thirst for the infinite,
I know that your supreme desire
Is to die of voluptuousness…

Offrande

(translation available)

Mes livres je les fis pour vous, ô jeunes hommes,
Et j’ai laissé dedans,
Comme font les enfants qui mordent dans des pommes,
La marque de mes dents.

J’ai laissé mes deux mains sur la page étalées,
Et la tête en avant
J’ai pleuré, comme pleure au milieu de l’allée
Un orage crevant.

Je vous laisse, dans l’ombre amère de ce livre,
Mon regard et mon front,
Et mon âme toujours ardente et toujours ivre
Où vos mains traîneront.

Je vous laisse le clair soleil de mon visage,
Ses millions de rais,
Et mon coeur faible et doux, qui eut tant de courage
Pour ce qu’il désirait.

Je vous laisse ce coeur et toute son histoire,
Et sa douceur de lin,
Et l’aube de ma joue, et la nuit bleue et noire
Dont mes cheveux sont pleins.

Voyez comme vers vous, en robe misérable,
Mon Destin est venu,
Les plus humbles errants, sur les plus tristes sables,
N’ont pas les pieds si nus.

— Et je vous laisse, avec son feuillage et ses roses,
Le chaud jardin verni
Dont je parlais toujours; — et mon chagrin sans cause,
Qui n’est jamais fini…